Des résultats inédits sur l’interaction entre symbiose, reproduction et environnement, portés par des scientifiques de Bordeaux Sciences Agro.

Dans un contexte de réchauffement climatique global, la capacité des organismes à s’adapter rapidement à des conditions environnementales changeantes est devenue un enjeu majeur en biologie. Une récente étude avec les collègues du laboratoire d’Insect Natural Enemies de l’Université de Kyushu, met en lumière un mécanisme d’adaptation encore peu exploré : l’ajustement sexuellement biaisé de la taille des œufs en réponse au stress environnemental, facilité par des bactéries symbiotiques.

L’étude, coordonnée par Midori Tuda (Kyushu University), avec la participation d’Eloïse Leroy (ancienne étudiante GIAP et FAD), Maya Gonzalez et Marie-Pierre Ellies (Bordeaux Sciences Agro), porte sur Callosobruchus chinensis, un coléoptère ravageur des graines de légumineuses, modèle bien connu en écologie évolutive. Ce petit insecte est infecté naturellement par des bactéries du genre Wolbachia, présentes chez plus de la moitié des espèces d’arthropodes terrestres. Ces bactéries, transmises par les femelles, peuvent modifier profondément la reproduction et la physiologie de leur hôte.

L’expérience :

Les chercheurs ont comparé trois lignées de ce coléoptère, avec des statuts d’infection différents (coinfection, infection simple, non-infecté), élevées sous deux types de conditions : environnement standard, et environnement simulant le climat futur (augmentation de la température et du taux de CO₂). Leur objectif : tester si Wolbachia influence l’allocation parentale en modifiant la taille des œufs, en particulier selon le sexe de l’embryon.

Les résultats sont surprenants :

Après deux jours d’exposition au stress climatique, seuls les parents coinfectés augmentent la taille des œufs destinés à donner des mâles. Or, la taille de l’œuf est un déterminant clé de la survie et du développement des jeunes insectes. Les mâles issus de ces gros œufs se développent plus rapidement, ce qui leur confère un avantage compétitif pour l’accouplement. En revanche, ce phénomène n’est pas observé pour les femelles, suggérant un investissement parental différencié selon le sexe — une stratégie adaptative orientée vers la maximisation du succès reproductif à court terme dans un contexte stressant.

Une première dans une espèce à chromosomes sexuels :

Jusque-là, ce type de plasticité sexuellement biaisée était documenté uniquement chez des espèces à déterminisme sexuel haplodiploïde. Cette étude démontre pour la première fois un tel mécanisme chez un insecte avec chromosomes sexuels, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives sur les stratégies d’adaptation reproductive influencées par les symbiotes.

Implications multiples :

Ces résultats enrichissent notre compréhension de la plasticité phénotypique face au changement climatique, du rôle des symbioses dans l’évolution, mais aussi des interactions complexes entre facteurs environnementaux et reproduction. Ils pourraient aussi éclairer de nouvelles approches en lutte biologique, notamment en ciblant des symbiotes pour moduler les performances des ravageurs.

L’étude complète sera prochainement publiée dans Scientific Report, une revue publiée par le groupe Nature Publishing Group. Elle s’inscrit dans le cadre des travaux de recherche menés à Bordeaux Sciences Agro sur la durabilité des agroécosystèmes et les mécanismes d’adaptation des espèces aux contraintes anthropiques et elle est issue de la réussite d’une mobilité étudiante à l’Université de Kyushu.

Contact:

Maya Gonzalez – maya.gonzalez@agro-bordeaux.fr
Marie-Pierre Ellies – marie-pierre.ellies@agro-bordeaux.fr