Notre collègue Catherine Bennetau, experte reconnue sur le soja et les isoflavones décrypte l’avis rendu en début de semaine par l’ANSES, estimant que la restauration collective doit se passer des produits au soja.

Contexte

L’Anses recommande à la restauration collective de se passer des aliments à base de soja comme les desserts, yaourts, lait, steaks végétaux, tofu… Des produits qui contiennent trop d’isoflavones, des substances végétales proches des hormones féminines aux effets potentiellement nocifs pour la santé et notamment pour le système reproducteur.

Si le chef de l’Unité d’évaluation des risques liés à la nutrition de l’Anses indique qu’il « ne s’agit pas de jeter l’opprobre sur le soja en tant qu’aliment, mais plutôt sur les teneurs en isoflavones que les produits au soja contiennent actuellement », il précise qu’en « attendant d’avoir des sojas moins riches en isoflavones, il faut lever le pied sur la consommation de ces produits et conseille de diversifier les aliments d’origine végétale, sachant que les légumes secs autres que le soja sont nettement moins riches en isoflavones ». L’agence sanitaire invite ainsi « les acteurs de l’agroalimentaire à revoir les techniques de production et de transformation du soja », afin de réduire les teneurs en isoflavones de leurs produits, dans un avis publié lundi 24 mars 2025, sollicité par les ministères de l’Alimentation et de la Santé. En effet, si les teneurs en isoflavones dépendent de la variété de soja, des conditions de culture et du degré de maturité de la plante, il est possible de les réduire en utilisant certaines techniques agronomiques et procédés de fabrication. Par exemple, la graine de soja toastée concentre les isoflavones, alors que lorsqu’elle est bouillie, la graine est bien moins concentrée. En effet, différentes préparations des produits du soja, comme le lavage, le trempage ou différentes techniques traditionnelles couramment répandues en Asie permettent de réduire les teneurs de ces isoflavones.

Comment a été préparé l’avis de l’Anses

L’Anses a tout d’abord défini pour la première fois, grâce aux connaissances scientifiques disponibles, des seuils toxicologiques en-dessous desquels il n’y a quasiment pas de risque pour la santé : ils sont de 0,02 mg par kg de poids corporel et par jour pour la population générale et 0,01 mg/kg de poids corporel pour les femmes enceintes et en âge de procréer ainsi que les enfants prépubères.

Puis elle a comparé ces valeurs aux niveaux d’exposition alimentaire de la population et constaté un « risque de dépassement » pour les consommateurs d’aliments à base de soja.

Ces seuils sont ainsi dépassés par 76% des enfants de 3 à 5 ans consommant des aliments au soja, 53% des filles de 11 à 17 ans, 47% des hommes âgés de 18 ans et des femmes âgées de 18 à 50 ans.

L’avis de l’Anses contribuera à la révision de l’arrêté relatif à la qualité nutritionnelle des repas en restauration scolaire – le texte en vigueur, datant de 2011, devant être remis à jour.

L’éclairage de l’experte

Les isoflavones du soja sont des phyto-estrogènes, c’est-à-dire des molécules végétales qui possèdent des propriétés estrogéniques. Les estrogènes étant des hormones sexuelles impliquées dans la reproduction, on peut facilement concevoir que les phyto-estrogènes peuvent impacter la fertilité des animaux et des êtres humains. Ceci a été montré chez des mammifères d’élevage dès les années 1940 en Australie et Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, les données de la littérature scientifique mentionnent de façon claire aujourd’hui des effets néfastes des isoflavones sur la fertilité des femmes lorsqu’elles consomment quotidiennement 50 mg d’isoflavones.

Ces quantités d’isoflavones peuvent être dépassées si l’on consomme des biscuits apéritifs ou des graines de soja toastées et selon les aliments, un à deux produits de soja par jour peut conduire à une exposition préoccupante. Ces doses qui s’expriment en mg par kg de poids corporel, doivent être ajustées pour les enfants en fonction de leur poids. Par ailleurs, certaines périodes de la vie sont particulièrement sensibles comme les 1000 premiers jours après la conception. Dans ce cas il est prudent de réduire encore les expositions voire même de les éviter. Hélas, malgré une recommandation de l’Afssa et l’Afssaps en 2005, il est toujours impossible pour les consommateurs de connaitre la teneur en isoflavones des aliments qu’ils achètent.

Néanmoins, l’alimentation des Français se végétalise de plus en plus pour des raisons à la fois sanitaires, éthiques et environnementales. Les aliments à base de soja bénéficient d’une antériorité sur le marché. Ils sont pratiques, très variés et appétant. Il est donc nécessaire de disposer d’aliments au soja à teneurs réduites en isoflavones. On conçoit alors très bien que l’Anses, qui se préoccupe de la santé des Français, propose de limiter l’exposition des consommateurs et préconise une adaptation des procédés de fabrication.

Cela est tout à fait possible, car les isoflavones qui sont des molécules protectrices pour la plante et qui circulent dans la sève, sont solubles dans l’eau. Traditionnellement les asiatiques faisaient bouillir le soja afin de réduire les problèmes digestifs provoqués par les facteurs anti-nutritionnels qu’il contient et, ce faisant, réduisaient sans le savoir les phyto-estrogènes. Les procédés industriels modernes qui traitent des tonnes de graines de soja par jour, devraient utiliser des milliers de litres d’eau qu’il conviendrait de recycler et de traiter pour éviter de relarguer les isoflavones dans l’environnement. Des solutions rentables existent. Il faut donc que les producteurs d’aliments à base de soja les développent. Il sera ainsi possible de profiter des qualités nutritionnelles du soja : taux de protéines élevé, protéines de bonne qualité, fibres, acides gras poly-insaturés sans se soucier des isoflavones. La consommation de soja à teneur réduite en isoflavones peut aussi être bénéfique pour la prévention de maladies métaboliques et la protection cardio-vasculaire.

Les propriétés estrogéniques des isoflavones pourraient alors être réservées aux personnes qui en ont besoin c’est-à-dire les personnes en carences d’estrogènes. Dans ce cas, comme pour tous les traitements aux estrogènes, cette utilisation nécessiterait un suivi médical.

 

Pour en savoir plus

https://anses.fr/fr/content/eviter-les-isoflavones-dans-les-menus-des-restaurations-collectives

https://www.lemonde.fr/planete/article/2025/03/24/les-aliments-a-base-de-soja-riches-en-isoflavones-ne-doivent-pas-etre-servis-en-restauration-collective-recommande-l-anses_6585550_3244.html#:~:text=%C2%AB%20Le%20soja%20%C3%A9tant%20la%20principale,toutes%20les%20cat%C3%A9gories%20d%27%C3%A2ge%20%C2%BB

 

Contact : 

Catherine BENNETAU – Catherine.Bennetau @agro-bordeaux.fr

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