Contributions :

Christopher Carcaillet (PSL Université), Guillaume Decocq (Université d’Amiens), Florian Delerue (Université de Bordeaux), Jean-Christophe Domec* (Bordeaux Sciences Agro), Jonathan Lenoir (CNRS), Richard Michalet (Université de Bordeaux)

Les scientifiques de Bordeaux Sciences Agro sont identifiés par une astérisque*

Contact : Jean-Christophe Domec

Contexte

Il n’y a pas que les humains et les animaux qui migrent. Les arbres le font aussi naturellement, à une vitesse estimée à quelques kilomètres par siècle. Depuis des millénaires les plantes déplacent leur aire de répartition à travers les continents en réponse aux changements climatiques. Mais face à la rapidité du changement climatique actuel, cette vitesse semble bien trop lente, puisqu’il faudrait que les arbres se déplacent de plusieurs centaines de kilomètres par siècle pour faire face au changement climatique.

L’accélération actuelle du changement climatique empêche ces espèces de réagir suffisamment vite, ce qui entraîne déjà des conséquences négatives sur la croissance des forêts, la réaction aux perturbations, la gestion et la conservation. La migration assistée est l’une des stratégies d’adaptation choisies par les filières sylvicoles pour s’assurer que les espèces utilisées en reboisement pourront garantir la résilience des systèmes forestiers. La migration assistée consiste à déplacer des espèces pour les préserver de l’extinction. Le concept s’applique au contexte du réchauffement global en plantant des espèces d’arbres de régions chaudes ou sèches en lieu et place d’arbres de régions plus froides et humides. En France, la migration assistée se traduit par des plantations d’espèces provenant du sud méditerranéen comme le pin maritime du Portugal. La migration assistée est ainsi également souvent une translocation, terme désignant l’action de déplacer des espèces par de-là les barrières naturelles (montagnes, mers) comme le pin laricio de Corse, le cèdre de l’Atlas provenant d’Afrique du Nord planté jusque dans le Grand Est, ou des sapins de Turquie plantés dans les Alpes. Cette pratique permet d’aménager les forêts en devançant les effets du changement climatique par accélération artificielle de l’adaptation des forêts pour préserver les niveaux de productions de bois. Certains évoquent un procédé permettant la « résilience socio-économique de la sylviculture ». Cette migration forcée d’espèces d’arbres n’a rien de naturel et peut induire des dommages environnementaux et, potentiellement, entraîner un emballement climatique comme expliqué dans cette étude menée sur 106 espèces d’arbres d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Amérique du Nord.

Démarche

L’analyse en composantes principales a été utilisée pour analyser la variation de 7 caractéristiques de 106 espèces d’arbres et de grands arbustes provenant de distributions latitudinales contrastées dans l’ouest de l’Amérique du Nord et de l’Europe, afin de prédire les changements fonctionnels potentiels des écosystèmes forestiers dus au transfert d’espèces d’arbres des basses vers les hautes latitudes.

Conclusions & perspectives

Il ressort de ce travail que même si l’idée de base part d’une volonté de mieux faire pour adapter nos forêts, les effets attendus pourraient être moins bénéfiques. L’histoire a souvent montré que la nature ne se dompte pas facilement ; elle doit être comprise. Sous climat chaud et sec, l’adaptation à la sécheresse réduit la hauteur des arbres, et les feuilles sont souvent plus petites, plus épaisses et persistantes. Le feuillage des arbres dominants dans une forêt a un rôle essentiel pour tamponner et atténuer – « rafraichir » – l’effet des vagues de chaleur et de sécheresse. Le feuillage moins dense des arbres plus petits venant du sud atténuerait moins les extrêmes climatiques. Le climat de sous-bois est plus chaud, plus sec et moins tamponné que celui des sous-bois naturels des forêts dominées par les arbres des régions tempérées. Si la migration assistée devait se répandre sur de vastes territoires, cela dégraderait donc le bilan énergétique à l’interface atmosphère-canopée et pourrait finalement être néfaste pour lutter contre le réchauffement climatique. La migration assistée, et surtout la translocation, d’espèces n’est donc pas la panacée. Un changement de paradigme forestier est nécessaire en s’appuyant sur les ressources originelles des forêts, en facilitant leurs acclimatations au nouveau climat plutôt qu’en les manipulant trop, au risque d’accélérer encore plus le processus de réchauffement global. Parmi les solutions alternatives pour éviter un emballement climatique, la migration assistée dite « intra-spécifique » par « flux de gènes assistés » est préférable. Elle consiste à aller chercher des provenances, sous formes de graines, dans des régions plus chaudes et sèches tout en restant au sein de l’aire d’indigénat de l’espèce et de les introduire en mélange avec les provenances plus locales, permettant ainsi de renforcer la diversité génétique.